À QUOI TU PENSES KOMOLO? / LE PASSAGE SECRET – Résidence de Des mots d’la dynamite

À QUOI TU PENSES KOMOLO? / LE PASSAGE SECRET – Résidence de Des mots d’la dynamite

Depuis sa fondation en 1988, le travail de la compagnie Des mots d’la dynamite s’inscrit dans la mouvance de l’art contemporain et de l’interdisciplinarité. C’est en privilégiant la rencontre intime et souvent avec des moyens volontairement artisanaux qu’elle prône le décloisonnement des disciplines. Le leitmotiv de la compagnie reste inchangé depuis sa fondation : Poétik + Philosophik = Politik. Ayant à son actif de nombreuses créations diffusées dans des salles de spectacles, musées, centres d’artistes, festivals et événements, la compagnie s’est produite au Québec, au Canada en Europe, aux États-Unis et à Cuba. Avec son projet À QUOI TU PENSES KOMOLO ?, l’artiste Nathalie Derome souhaitait aborder la tridimensionnalité chez le jeune enfant pour guider l’écriture d’un spectacle interdisciplinaire. (En résidence au Cube du 9 au 20 janvier 2023.)


JOURNAL DE BORD

Jour 1 – Lundi 9 janvier 2023 : Fébriles!

On va se faire une belle cachette avec l’aide de Nicolas, le DT du Carrousel si disponible et si généreux.

Nous, c’est Kristina Troske, (marionnettiste et interprète), François Martel (musicien, poète et narrateur), Amélie Dumoulin (dramaturge et souvent régisseure volontaire!), Nathalie Derome (artiste interdisciplinaire), qui choisit de se retirer du jeu pour pouvoir observer et mettre en scène, et la comédienne polyvalente Audrée Southière, (interprète et marionnettiste) qui la remplace dans le jeu.

On va poursuivre nos explorations d’écriture de plateau avec l’ombre, la marionnette rudimentaire, la musique, la poésie et le jeu théâtral.

Bref, c’est lundi et on a du pain sur la planche!

Le matin vers 9h15, quand Amélie et moi arrivons avec le matériel, François a déjà installé son coin de musique. Il est prêt à tout et ça me fait rire! Kristina ne tarde pas. Elle mesure les espaces. Avec Nicolas, on installe nos objets: un écran rudimentaire, quelques lampes, une console d’éclairage, un système de son. On cache la lumière qui vient des fenêtres, etc.

En après-midi, on est prêts à plonger!

Avec Audrée, on revisite nos scènes créées, cet automne.
Des petits textes, des chansons, des marionnettes de papier découpé qui attendent sagement qu’on les touche pour vivre, des embryons de scènes, des perles à enfiler sur un fil rouge. Le thème du secret s’est profilé dans les improvisations et peut-être qu’il va rassembler les petites séquences amassées jusqu’à maintenant. La semaine nous le dira.

 

Ce qui est vu/Ce qui est caché/ Ce qui est dit/ Ce qui ne l’est pas/ Ce qui se dévoile/ Ce qui reste dans l’ombre.

Ces éléments de jeu et d’écriture représentent ce qui reste de À quoi tu penses Komolo?(lacréationamorcéeensolopendantlapandémie,ilyadeuxans).Komolo est une petite fille qui pense qu’elle est faite en deux dimensions, mince comme une feuille de papier. Elle a du mal à comprendre qu’elle est plutôt faite en 3 dimensions. Une parmi les autres…

C’est cette sensation qui traverse la proposition actuelle mise de l’avant avec le médium- ombre. Elle se déploie différemment sur le plan formel avec l’ajout d’un musicien live (narrateur et poète) et deux manipulatrices de marionnettes qui sont également interprètes mais symboliquement, on navigue dans les mêmes thèmes et sur les mêmes eaux.

Un des objectifs de la résidence est de poursuivre l’écriture en faisant vivre la surface de projection, mais aussi de développer les scènes où les marionnettistes deviennent interprètes et habitent la scène.


Jour 2 – Mardi 10 janvier : Enthousiastes!

On déjeune avec Martin et Marie-Luce et je suis contente de prendre du temps pour que chacun rencontre les maîtres d’œuvre du Cube, cet organisme de services si précieux et si actif dans la communauté enfance-jeunesse. Ils sont vaillants et optimistes et ça fait chaud au cœur de les entendre parler de leur mission.

Ensuite, on continue la passation des segments avec Audrée. On prend nos marques. On se sent bien.

 

 

 

 


Jour 3  Mercredi 11 janvier : Joyeux!

En matinée, on reçoit la visite de la danseuse Karla Etienne pour un atelier de mouvement qui est très bienvenu= Simplicité-Joie-Liberté
2heures de corps/ ça fait du bien!
Sautillement

Alignement
Ouverture.
Le matin nous prépare bien pour l’après-midi.

Pendant que Kristina, François et Audrée travaillent les
chansons, Amélie et moi parlons dramaturgie et préparons
une nouvelle enfilade de scènes que nous jouons: Il y a des
trous, des gaucheries, des bons coups, des questions qui surgissent. On est en liberté et à l’écoute des trouvailles. Tout va bien.


Jour 4  Jeudi 12 janvier : C’est du sérieux!

On discute des personnages qui se dessinent. Amélie prétend que plusieurs semblent mésadaptés, des « Misfits au grand cœur » : un monsieur Grichou qui griche, une Tigresse de papier qui égratigne tout quand elle se fâche, une Pâquerette esseulée avec sa guitare

électrique, etc.

En tout cas, on peut dire qu’ils ont du caractère!

En parallèle avec l’univers ludique et « bande-dessinée » amené par François, il y a des scènes chantées et jouées par les interprètes en avant-scène. Quelques scènes révèlent des secrets d’enfance soutenus par des jeux d’ombres. Ces moments de vulnérabilité contrastent avec le côté fantaisiste de l’univers de François. Dans ces scènes, les techniques de théâtre d’ombre sont souvent montrées au grand jour. Le mélange me semble bienvenu, mais on doit équilibrer le tout dans la charpente du spectacle.

Mais je suis impatiente et parfois dans mon esprit pointe ce que j’appelle « La tentation du récit »: le besoin infantile (?) d’une histoire à la Walt Disney qui légitimerait ou homogénéiserait l’ensemble de la proposition en sécurisant toute l’équipe, moi la première. J’attribue ce besoin à mon impatience envers le processus d’écriture de plateau mais aussi à mon manque d’expérience en direction du public pressenti, les 4 à 7 ans. Je n’ai fait qu’un seul spectacle pour ce groupe d’âge et je me demande si ce public est sensible à la poésie ou s’il a besoin d’une histoire concrète… Amélie précise avec justesse que c’est plutôt une convention de jeu qu’il faut identifier et non pas un récit au sens strict. Elle me rassure. Il semble qu’il me faut encore découvrir le passage secret entre le jeu performatif et le jeu théâtral…Aouch!


Jour 5 et 6 – vendredi 13 janvier et samedi 14 janvier : La sensualité du médium Ombre

Nous laissons de côté, nos interrogations sur la structure du spectacle pour accueillir la marionnettiste Marcelle Hudon qui se joint à nous pour deux jours. Avant de venir, elle m’avertit qu’elle va tout détruire! et c’est ce qu’elle fait avec passion, bienveillance et beaucoup d’humour.

Elle nous ramène à la base du langage millénaire qu’est le théâtre d’ombre : Un écran, de la lumière et entre les deux : une forme.

Son esprit ludique et sa grande expérience nous séduisent.
On improvise à partir de nos séquences.
Elle n’est pas avare de commentaires et elle veille au confort technique des marionnettistes. Ce problème nous préoccupe depuis longtemps, mais faute de temps et d’expertise, nous n’avons pas trouvé de solutions concrètes. Avec son aide, on réaménage les installations derrière l’écran (par exemple, des tables pour déposer et actionner les formes). On en profite pour solidifier les ribambelles de papier (formes projetées).

Elle un grand respect pour le travail effectué. Elle apprécie beaucoup la musique en direct et la poésie fantaisiste de François. Chose certaine, elle a vite fait de nous libérer de l’écran-mur pour décloisonner les espaces et assouplir les passages entre le monde caché derrière l’écran et celui ouvert de l’avant-scène.

Elle donne des exemples concrets sur la mobilité des lampes qui peuvent créer des effets particuliers comme par exemple, amplifier une émotion ou préciser le point de vue d’un personnage.

Elle nous confirme que les jeux sont signifiants si le dialogue entre la lampe, le texte, le geste est clair pour les spectateurs. Elle parle de la respiration qu’ils requièrent pour faire sens, de l’écoute de chacun de ces éléments par les manipulateurs(trices) et des croisements symboliques qui en ressortent.

Elle nous rend conscients des bavures de la lumière sur les murs ou sur le plancher qui peuvent aussi faire partie de l’écriture et du visuel du spectacle.

Ses conseils et ses nombreuses références techniques nous aident à envisager la suite du travail. Avec elle, nous parlons de l’enveloppe scénographique qu’il sera bientôt temps de développer.

Bref, elle est d’un grand soutien. Les deux jours passés avec elle sont à la fois très techniques et très ludiques et arrivent à point. Chose certaine, elle nous fait réfléchir à la sensualité du médium-ombre et confirme plusieurs intuitions de recherche. Bref, elle partage son expertise avec une grande générosité.

 


Deuxième semaine : Laisser retomber la poussière

Avec grand plaisir, nous aurions voulu poursuivre le travail en atelier, mais malheureusement notre marionnettiste-étoile, Kristina, a un engagement prévu depuis longtemps. La deuxième semaine de résidence sert donc à faire le bilan du travail accompli, visionner les captations vidéo, discuter des enjeux dramaturgiques et poétiques de la proposition et faire des projections pour la prochaine étape du projet.

C’est officiel! : À quoi tu penses Komolo? devient Le passage secret. Ce nouveau titre de travail correspond à l’évolution de la proposition et tient compte des découvertes faites pendant la résidence.


Lundi 16 janvier : Le Luxe d’une résidence

Rencontre avec Amélie et François
Nous sommes fatigués mais très heureux de notre semaine de travail. La proposition a fait un grand bond en avant. La symbolique et la poésie du « passage secret » m’inspire.

François affirme que la résidence lui a permis
de raffermir son écriture en direction de
l’ombre projeté, du théâtre de marionnettes.
Il a développé des outils pour découper les
scènes en fonction des images et des actions.
Cet apprentissage technique lui servira assurément pour la prochaine étape de travail.

Il est content de la mobilité des rôles de chacun dans la structure : la marionnettiste qui devient comédienne, la comédienne qui devient marionnettiste et le chanteur qui n’est plus seul à chanter. Son rôle de narrateur s’est précisé ainsi que le ton avec lequel il aborde la parole et la poésie en direction des enfants.

Comme nous tous, il a beaucoup apprécié le temps passé ensemble et l’espace fourni pour travailler. Le luxe d’une résidence a eu un effet positif sur le groupe de travail et l’avancement du projet.

 


Mardi 17 janvier : TV show

Le mardi est consacré au visionnement des nombreuses captations vidéo partagées par Audrée et Amélie sur une plateforme numérique.


Mercredi 18 janvier : Post-mortem

Toute l’équipe se rassemble pour un post-mortem.
Nous en profitons pour visionner ensemble quelques vidéos récoltées et parlons des

étapesultérieures duprojet.Nousparlonségalementdescénographie.Touss’entendent pour dire que nous devons penser l’espace autrement. Kristina pense que nous devrions créer plusieurs zones-écrans. François parle de son expérience en tant qu’auteur pour le théâtre d’ombre. Audrée partage en riant son envie de faire une scénographie qui ferait de nous des explorateurs avec des lampes frontales et Amélie partage un conte qu’elle a écrit en s’inspirant des personnages de François.

En après-midi, François et moi effectuons le démontage.


Jeudi 19 janvier : Des artistes bien entourées

Je rencontre Marie-Êve Huot pour prendre et donner des nouvelles. Je me sens privilégiée de pouvoir kidnapper la directrice artistique du Carrousel. C’est si rare de prendre le temps de se rencontrer en tant qu’artistes et je suis touchée qu’elle trouve le temps car sa compagnie part le lendemain pour une tournée, en France. Nous discutons à bâtons rompus. Nous abordons, entre autres, les effets de la pandémie sur le secteur culturel et celui de l’enfance-jeunesse ainsi que les effets de cette crise sur notre créativité.

Pendant tout cette rencontre, François et Nicolas terminent le démontage et le ménage du local…
Euh? Merci les gars!

 

 


Vendredi 20 janvier : Impatiente patience

La résidence se termine avec une belle rencontre avec la chercheure Marie-Christine Lesage avec qui je partage mes préoccupations sur les enjeux formels du spectacle, ma démarche artistique qui est toujours axée sur l’appropriation des langages, mon travail orienté vers la toute petite enfance, mon désir de me retirer du jeu pour faire la mise en scène du spectacle actuel.

Avec elle, je réfléchis comment cette nouvelle proposition s’inscrit dans la suite de ma démarche et le défi que représente ce spectacle qui s’adressera aux enfants de 4 à 7 ans. Elle me parle de l’importance de la qualité d’attention et mentionne l’ouvrage du philosophe Yves Citton, Vers une écologie de l’attention, que je lirai avec plaisir.

Je lui montre quelques vidéos en précisant à quel point je déteste travailler avec la vidéo.

« Mais tu fais comment pour récolter du matériel ?

– Je me souviens de la sensation. Elle ne ment jamais. C’est sans doute ce qui m’a attirée vers les tout-petits: la recherche haptique. Quand c’est fertile, ça se touche! »

Elle me fait réaliser que ce rapport au Monde a traversé tous mes spectacles (adultes et enfants) et que c’est peut-être cette attention particulière qui m’a amenée à la création pour les tout-petits. Avec Le passage secret, je poursuis cette recherche avec la même impatiente patience, la même passion.

Bien hâte de voir se déployer cette recherche et de passer à l’étape de production et de mise au monde.

Mille mercis à toute l’équipe, au Cube et aux habitants du Carrousel dont le DT qui affirme: « Quand y’a pas de problème, moi j’ai pu de job! »


 

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