BERMUDES (DÉRIVE DE NUIT) – résidence de Système Kangourou

BERMUDES (DÉRIVE DE NUIT) – résidence de Système Kangourou

Deux semaines pour nous déposer, pour déballer nos matériaux. Pour peaufiner leur agencement, pour déployer avec plus d’habilité et de justesse leurs sens, pour comprendre leur connivence.

Premier passage (novembre 2021)

On cherche à définir le type d’adresse aux spectateurs de Bermudes (dérive de nuit). On se demande à quel type d’expérience nous souhaitons les convier?

C’est la première fois que nous créons un spectacle destiné à un tout public. L’idée d’offrir Bermudes (dérive de nuit) à un public hybride, composé d’adultes et d’enfants, nous plait beaucoup.

À plusieurs reprises, on se demande si la forme immersive de Bermudes (dérive de nuit) parviendra à soutenir l’attention des petits. Seront-ils poreux à la poésie des images même si celle-ci se déploie dans une certaine durée ? Trouveront-ils la patience et l’abandon nécessaire ? Quelles accroches inventer pour stimuler et renouveler leur curiosité ? Est-ce que le type de jeu sobre, direct et humble qui nous intéresse (et que nous approfondissons au fil des créations de Système Kangourou) saura les captiver ? Comment accueillir ces présences grouillantes, comment leur tendre la main et les inviter à nous suivre dans cette dérive ? Comment nous préparer à leur venue ?… Les questions fusent et les interrogations persistent.

On se questionne aussi sur la narratrice. Elle est cette main tendue vers les spectateurs. Elle tient les fils de « l’histoire de cette femme perdue qui s’embarque sur un bateau pour aller loin, très loin… » On découvre que la narratrice (jouée par Claudine) incarne le rôle des sentiers.

On savait déjà que Fred, entouré de ses consoles et de ses instruments, incarnait le rôle des paysages. On savait que Karine, avec sa voix toute en textures et en sifflements, jouait le rôle des vents et que Julie, elle, à sa table à dessins en train de manipuler gouache et pinceaux, incarnait le rôle des humeurs. Mais on ne savait pas, jusqu’ici, que la narratrice jouait le rôle des sentiers.

On retraverse la partition en ayant en tête le rôle poétique de chacun. e. On dessine en nous, chacun. e pour soi, le tracé des vents, du sentier, des humeurs, des paysages. On revisite les séquences de la partition en se les racontant différemment : « Ici, c’est la section des vents chauds, celle-là c’est plus celle des bourrasques. »« Au début, on est dans un sentier absent, un terrain vague, plus loin on bifurque vers un chemin sinueux… »« Ici, on marche sur une route plate, du faux plat en fait… »

On explore la lisière de l’aire de jeu, ses marges, ses bordures. Sans doute pour laisser les éléments scéniques se rencontrer, se lier. Le travail plastique de Julie réalisé en direct à partir d’un dispositif vidéo, qui lui permet de juxtaposer une multitude de matières sur les images du film de Claire Legendre projetées sur la bâche, est si précis et signifiant qu’il demande à ce qu’on lui laisse toute la place. Les environnements sonores riches et éloquents créés par Fred et Karine aspirent eux aussi à se déployer dans le temps et dans l’espace. La narration, avec ses détours et ses bifurcations souhaitées, saura bien trouver sa place plus tard dans le processus.

Gabriel Dharmoo nous rend visite. Avec lui, nous explorons la voix d’une manière ludique et décomplexée. Les exercices qu’il propose sont à la fois simples et complexes. Certains invitent à plonger profondément en soi, à se connecter à des sonorités de voix jusqu’ici inexplorées ; d’autres tendent à raviver les babillages de l’enfance dans une impulsion joyeuse et contagieuse.

Deuxième passage (mars 2022)

Quel bonheur de reprendre le travail ! On retrouve avec joie le studio du Carrousel. On se sent un peu comme chez nous. On se trouve choyés. On savoure en se disant que ce qu’on vit est précieux.

Ayant bénéficié d’une résidence aussi imprévue qu’inespérée à Espace Libre en janvier passé (alors que la pandémie obligeait à nouveau la fermeture des salles de spectacles), nous retrouvons Bermudes (dérive de nuit) dans un état plus avancé que celui dans lequel nous l’avons quitté en novembre dernier. La résidence de janvier aura permis de finaliser la partition et de préciser l’agencement des différents langages (sonores, plastiques, narratifs et performatifs).

Nous reprenons le travail au Carrousel en ayant comme objectif de préciser avec soin les timings de chacune des actions. Pour que la magie opère, les différents langages doivent s’arrimer minutieusement.

On reprend du début : l’entrée des spectateurs. L’entrée des spectateurs de Bermudes (dérive de nuit) en est une colossale qui se déploie en plusieurs phases. On joue à recréer l’ambiance d’un quai, la nuit, juste avant l’embarquement. (Claudine joue à interpréter les passagers qui attendent d’embarquer sur le bateau, elle invente des bribes de conversations ; Karine recrée au gazou les avertissements d’un départ imminent faits à l’interphone ; Julie juxtapose sur l’image du quai des surtitres en papiers…) On s’affaire à dévoiler la fabrication de la fiction.

On s’attarde à la narration. Comment poursuivre notre recherche sur un type de jeu sobre, tout en laissant subtilement transparaitre les effets de l’histoire de cette femme qui s’embarque sur un bateau sur la narratrice ? Comment faire intervenir le corps dans la narration sans redondance avec la parole ?

On cherche à ponctuer la narration par l’ajout de quelques gestes précis faits par la narratrice. Une main ouverte qui se déplace doucement de droite à gauche pour évoquer le mouvement du bateau qui quitte le quai ; une main tendue doucement vers l’image projetée d’une roche sur la bâche pour évoquer l’arrivée sur l’île de la femme perdue…

Le fait de troquer le micro à fil utilisé jusqu’ici par la narratrice par un micro-casque fait soudainement apparaitre son corps en entier. Cette apparition nous invite à densifier sa présence autrement. Puisque l’espace ne nous permet pas de développer les actions performatives (hisser le poumon de glace, déplâtrer des objets, dénuder une épave-piano et découvrir son intérieur…), nous nous concentrons sur le corps de la narratrice pendant ses prises de parole.

Soleil Launière vient nous visiter. Nous l’accueillons chaleureusement. L’après-midi nous file entre les doigts. Nous nous quittons en nous disant qu’on doit absolument se revoir, il le faut, notre rencontre appelle une suite.

Nathalie Derome vient elle aussi nous visiter. Nos discussions sont passionnantes. Ensemble, nous réfléchissons au jeu performatif, à ses nuances, à ses défis, à ses vertiges. Nous partageons des expériences de création, des peurs, des états de grâce. Nous échangerons aussi des souvenirs de voyage, des récits de rencontres-passages faites au détour d’un séjour au Maroc ou sur la Basse-Côte-Nord…

Natalie est une précieuse interlocutrice. Nous avons l’impression de parler le même langage, la même langue. Ses observations sur Bermudes (dérive de nuit) sont nombreuses, justes, sensibles. Celles-ci entrent très souvent en résonance avec nos préoccupations du moment. Ses impressions confirment nos intuitions. Elle semble voir, comprendre intimement, saisir, la création en train de se faire.

Selon Nathalie, Bermudes (dérive de nuit) « donne le goût de voyager, d’aller vers l’autre ». Nous recevons cette impression comme un cadeau.

 

Bermudes (dérive de nuit)
Une création librement inspirée du film Bermudes (nord) de Claire Legendre

AVEC
Claudine Robillard – performeuse narratrice
Julie Vallée-Léger – performeuse plasticienne et scénographe
Frédéric Auger – performeur musicien et conception sonore
Karine Sauvé – performeuse chanteuse
Anne-Marie Guilmaine – idéation et écriture scénique en collaboration avec les performeur.euse.s
Marie-Aube St-Amant Duplessis – éclairages
Claire Legendre – images, pour le film Bermudes (nord)
Mélanie Dumont – accompagnement dramaturgique
Jeanne Dupré – stylisme costumes
Gabriel Duquette – direction technique
Andrée-Anne Garneau – direction de production
Flore Bailly – responsable de la diffusion

SYSTÈME KANGOUROU

 

 

 

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