À gauche du oui, à droite du non. Chroniques du consentement. - Résidence de Bernadette Gruson
Programme
international
Si c’est la danse qui l’éveille au corps, c’est son parcours universitaire qui lui donne le goût de la recherche qu’elle choisira in fine artistique. Si ce sont ses voyages et sa carrière de professeur de français langue étrangère qui l’ouvrent à la performativité du langage, c’est avec Zaoum qu’elle questionne notre rapport au monde, à soi et à l’autre et sa nécessaire déconstruction.
De l’écriture, à la mise en scène, direction d’acteur. ice.s, interprétation, performance, création sonore, vidéo. De l’immersion en musées aux hôpitaux, maisons d’arrêt, écoles, collèges, lycées, universités, Bernadette Gruson fait feu de tout bois et affirme de collaboration en collaboration, la physicalité et la pluridisciplinarité de sa recherche. Derrière leur comique et apparente légèreté, chaque texte, création, performance ou exposition cherche à dire ce qui se tait, et ouvre le regard sur ce qui se trouve «au delà du cadre», sens du mot russe Zaoum (le nom de sa compagnie).
Bernadette Gruson était en résidence d’écriture au Cube du 5 octobre au 10 décembre 2021 grâce à une entente de coopération dans le domaine du théâtre pour l’enfance et la jeunesse entre le Conseil des arts et des lettres du Québec et le Centre international de recherche, de création et d’animation de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon.
Vous pouvez suivre ici l’évolution de sa démarche et ses réflexions…
Contexte d’écriture
J’ai écrit le texte à gauche du oui, à droite du non à Montréal fin 2021, en résidence avec le Cube, centre international de recherche et création en théâtre pour l’enfance et la jeunesse.
Pouvoir écrire ce texte au Québec, qui a 15 ans d’avance en ressenti sur les questions d’éducation au consentement, c’était plus qu’une chance, une source perpétuelle de chocs de conscience. Quand j’interviens en établissements scolaires, je partage aux élèves cette expérience vécue au Québec. La mise en pratique du consentement éclairé, c’est possible, c’est normalisé là-bas, et ça n’enlève ni magie ni romantisme de (se) poser des questions, de parler. Alors allons-y, c’est possible de changer de repères.
Dans ce texte, il y a dix personnages, adolescent·es et adultes. Je voulais par ce choix montrer que la question du consentement est perpétuelle. Savoir ce qu’on veut, ou pas, être en mesure de le dire, ou pas, nous concerne à tout âge et en toutes circonstances. Les dix personnages permettent aussi d’aborder différents types de consentement, et pas uniquement le consentement sexuel. Par ailleurs, j’ai écrit le texte inspiré des codes de la téléréalité, avec des scènes de confessions, d’aparté, d’interactions, pour saisir les enjeux à la fois intimes et collectifs (l’influence de la famille, de l’éducation, de la culture, de la société.)
Octobre 2021
« Je vais te dire ce que je veux, ce que je veux vraiment, vraiment. Et toi dis moi ce que tu veux, ce que tu veux vraiment, vraiment. »
Les Spice Girls, Wannabee
Je vous écris de Montréal où je suis arrivée le 5 octobre, accueillie par Le Cube, centre de recherche et de création en théâtre pour la jeunesse, Le Calq, le Conseil des Arts et des Lettres du Québec, et (de loin) par la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon. Même si pendant cette résidence le sujet est le consentement, j’entre de plain-pied dans le nouveau cycle « Sortir de la reproduction. Sortir des violences ».
Ecrire, c’est aussi beaucoup lire. Dans mes bagages, Céder n’est pas consentir de Clotilde Leguil, Réinventer l’amour de Mona Chollet, Le berceau des dominations de Dorothée Dussy. Et sur mon bureau ceux que j’ai trouvé ici Je n’en ai jamais parlé à personne de Martine Delvaux, La fabrique du viol de Suzanne Zaccour, Libérer la culotte de Geneviève Morand et Nathalie-Ann Roy, Filles corsaires de Camille Toffoli, et des tas de « Zines » publications auto-éditées, créatives, permettant aux auteur.ice.s de partager leurs pensées.
De ces lectures, ce qui m’interpelle le plus, c’est la réalité et la normalité de ces sujets dans toutes les consciences, même chez ma voisine de 94 ans rencontrée sur le palier suite à une manœuvre incendie. En France, les études de genre sont menacées d’être supprimées, la pensée féministe rangée au rayon témoignages et le consentement perclus de « On ne peut plus rien dire ».
Je ne dis pas que c’est plus facile au Quebec, pays des Calinours, loin de là. En 2016, sur 633 000 agressions déclarées, 1 814 aboutiront à une condamnation (Source L’actualité 2016, in La fabrique du viol de Suzanne Jaccour). Je dis juste qu’au Québec, on n’en est plus à tenter d’ouvrir une conversation*. Ça jaze* déjà depuis un bon moment, partout, et de manière simple, directe, et fertile. On n’en est plus à dire ce qu’on ne veut plus, comme on chasse un cauchemar. On dit ce que l’on veut, même pas en rêve, mais comme une chose banale et joyeuse. Et c’est pour moi source de force et d’inspiration d’être justement ici, à Montréal, pour débuter ce cycle d’écriture sur fond des Spice Girls !
* en référence au dernière essai de Manon Garcia « Conversation des sexes. Philosophie du consentement. » Editions Flammarion
* causer, discuter agréablement. Ce verbe n’est pas péjoratif au Québec.
L’Origine
du consentement.
Ou l’incompréhension
du Contrat Social
de Rousseau.
Le mot consentement présuppose une égalité d’expression de ce que je suis et de mes choix. Comme dans la chanson des Spice Grils « Je vais te dire ce que je veux vraiment, vraiment. Et tu vas me dire ce que tu veux vraiment, vraiment. ».
Juste que là, tout va bien au pays de l’égalité. Dire oui ou non, ce n’est pas bien sorcier. Fin de la discussion.
Sauf qu’en pratique, dans le présupposé d’égalité se loge « l’inégalité de vulnérabilité », comme le nomme la philosophe Manon Garcia.
À la naissance, on ne signe pas un contrat en trois exemplaires entre la société, nos parents, et soi-même, pourtant c’est tacitement ce qui se passe.
A peine sorti.e de notre état aquatique, on est célébré.e fille ou garçon et là ça dérape. On se retrouve assigné.e aux normes de genre de la société où on vient de naître. Ou n’être (pas) – mais bon de quoi on se plaint, on a une toute vie devant soi pour apprendre à l’être – le langage des oiseaux est parfois désopilant.
Soumettre un nouveau né à ce contrat alors qu’il a encore les yeux collés et les poumons d’un poisson, y consentir pour lui alors même que le dit contrat est profondément inégalitaire, injuste donc violent, comment dire, c’est une future non-assistance à personne en futur danger de violences. Mais c’est le contrat. C’est comme ça, ça a toujours été comme ça, faut faire avec. Comme plus tard on dira, c’est un homme, faut faire avec, il est impulsif, mais tu verras au fond il n’est pas bien méchant.
Dès lors, en dehors de la lecture que nous feront nos parents et la société, ce sera à nous d’avoir la volonté d’aller lire chaque petit alinéa du contrat. Mais lire ne sera pas suffisant, il faudra les confronter à la réalité. Donc trouver les mots – qui ne sont pas dans le contrat, ce serait trop facile – pour penser les contradictions, les tensions, les violences auxquelles nous soumet ce contrat. Pour au final, au prix d’un certain nombre d’allers-retours entre ce à quoi on croyait consentir et ce qu’on vit réellement, peu à peu ne plus consentir à notre propre soumission et devenir sujet souverain de nos propres choix.
Mais ce n’est pas fini, reste la cerise sur la note de bas de page.
Faire partie de la société donne indifféremment accès au contrat. Jusque là encore, tout va bien au pays de l’égalité. Mais, et c’est là que « l’inégalité de vulnérabilité » arrive, ce que les femmes ont à en dire, ne compte pas, c’est l’affaire des hommes. Ce que pensent, ressentent, expriment les femmes, et notamment en terme de désir et de sexe, n’a pas de valeur, n’a pas de poids, bref on s’en fout.
« Pourquoi consultez-vous leur bouche, quand ce n’est pas elle qui doit parler ? (…) La bouche dit toujours non et doit le dire ; mais l’accent qu’elle y joint n’est pas toujours le même, et cet accent ne sait point mentir (…) Oui, je soutiens qu’en tenant la coquetterie dans ses limites, on la rend modeste et vraie (…) * »
Je n’ai rien contre Jean-Jacques Rousseau, paix à son âme qui a rejoint les étoiles depuis bientôt 250 ans. Mais pourrait-on consentir à brûler ce contrat et en écrire un qui soit égalitaire. Pourrait-on une bonne fois pour toutes prendre conscience de notre complicité dans la reproduction des violences, et de la culture du viol. Pourrait-on consentir à converser sans pression, sans négociation, sans domination, et se dire avec confiance « Je vais te dire ce que je veux vraiment, vraiment. Et toi, tu vas me dire ce que tu veux vraiment, vraiment. »
Au moment où j’écris ces mots, je reçois un sms de France. Un viol. Une plainte. Une longue procédure. Une cour d’appel. Le verdict de l’avocat général. La victime aurait pu être plus courageuse et gérer ça à l’amiable plutôt que de saisir la justice.
J’ai la nausée.
En théorie, tout le monde est contre le viol. En pratique, tout le monde le tait, le minimise et le légitime. On ne peut plus dire « c’est comme ça, tais-toi et fais avec ». Ça suffit. On arrête les dégâts. On change le contrat. Ensemble.
Bernadette Gruson
Octobre 2021
* l’Emile, ou de l’Education, Jean-Jacques Rousseau
à gauche du oui,
à droite du non.
Chroniques du consentement
Contrairement au proverbe : Qui ne dit mot, ne consent pas. Mais comment consentir, comment savoir ce qu’on veut ou pas, comment dire quand on n’a pas les mots, quand on sent qu’on devrait dire non ! mais qu’on ne peut pas, par peur, par sidération, par culpabilité, par admiration, pour ne pas décevoir, pour ne pas passer pour un.e coincé.e. Où se trouve le consentement ? Est-ce un point sur la carte avec la mention Vous êtes ici ? Ou un ensemble de points qui témoignent Vous êtes passé.e par là ? Si le principe de consentement, comme l’interdit de l’inceste, est un ancrage essentiel dans nos rapports humains, sur la carte il n’est pas une station balnéaire où l’on peut se payer le luxe de mouiller l’ancre, ou pas. Consentir n’est pas un lieu de villégiature, c’est un chemin intime et complexe qui se questionne, se construit, se déconstruit, se reconstruit à chaque instant, et dessine une cartographie faite d’une variété de choix autant que de non-choix. Avec ce nouveau texte, j’aimerais faire l’éloge de cette nécessaire et essentielle cartographie pour apprendre de soi et de l’autre, pour s’entendre et non plus se défendre.
Même si l’histoire de la domination masculine et des violences faites aux femmes est ancienne et connue, que le mouvement de libération des droits des femmes a plusieurs décennies, et que le récent #metoo a bousculé le seuil des consciences, beaucoup trop de (très) jeunes filles se retrouvent dans des situations qu’elles ne savent pas gérer et pour lesquelles elles se sentent coupables. Beaucoup trop de (très) jeunes garçons pensent qu’user de la force est sexy et que la virilité passe par la force et la démonstration. Beaucoup ne savent pas dire ce qu’iel.s ressentent, poser des questions de peur d’être ridicules, d’avoir la honte. Beaucoup ne savent pas que se taire ou ne pas bouger c’est mauvais signe. Beaucoup pensent que si ce n’est pas clair, c’est normal, c’est romantique. Trop restent dans le silence et les autres passent à autre chose sans être inquiétés.
Consentir ce n’est pas savoir dire oui ou non, c’est savoir écouter et être entendu.e. Consentir c’est parler, c’est respirer, c’est se mouvoir, sans pression.
Bernadette Gruson
SORTIE
DE RÉSIDENCE
Le 9 décembre 2021, afin de célébrer la présence de l’autrice Bernadette Gruson à Montréal et pour la souligner la fin de sa résidence, Le Cube invitait à la Maison Théâtre un public restreint à découvrir son travail en chantier. Le texte a été lu par les interprètes : Audrey Guériguian, Charlotte Raoutenfeld, Christian Baril, Marie-Luce Gervais, Martin Boisclair et Maxime-Olivier Potvin.