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Aimu (il-elle parle) - Résidence de Jouer dehors

JOURNAL DE BORD

Philibert Rousselot, l’Innu le plus loquace de Pessamit, et Myriam Fugère, jeune créatrice qui s’intéresse au théâtre hors des salles conventionnelles, sont venus au Cube pour explorer dans la langue Innu-Aimun une proposition théâtrale jeunesse qui se déploierait autour d’un feu et sans ressources techniques. (En résidence au Cube du 5 au 14 septembre 2023)

Mardi 5 septembre 2023

Tiohtiá:ke | Mooniyang | Montréal

Quel accueil ! On commence avec des rencontres humaines très enrichissantes. Délicieux croissants et discussion avec l’équipe du Cube et du Clou. Philibert avec son charisme et son aisance à raconter en profite pour partager certains aspects de la culture Innu. Il fait circuler une plume et explique comment la plume est le symbole de la vie (naissance à la mort) avec ses aspects agréables d’un côté et désagréable de l’autre. Il prend aussi le temps d’expliquer le teueikan, l’instrument du cœur et demande à chacun de faire frapper le tambour au rythme de son cœur. Déjà le temps d’un croissant et de confiture de graines rouges cuisiné par Philibert, quelques pistes pour créer s’installent… Éclairage intéressant, Benoît Vermeulen explique le théâtre pour ados. Selon lui, c’est vouloir partager, discuter de quelque chose avec ce public. Cela me semble riche pour notre recherche. Que voulons-nous partager avec les jeunes ? Sur quoi voulons-nous ouvrir le dialogue ?

Au départ des convives, nous nous retrouvons les deux, seuls ensembles. Philibert découvre le costumier du Clou et l’atelier. Cela le fait rêver et lui donne le goût d’adapter son garage une fois rendu à Pessamit.

En studio, nous prenons le reste de la période pour définir nos envies et quelques concepts. Nous porterons notre recherche autour du public adolescent puisque cela nous semble un défi plus stimulant et nous avons envie d’échanger avec eux sur différents sujets (voir photos des notes). C’est surtout à eux et elles que nous voulons parler.

La forme d’une proposition théâtrale autour du feu nous semble toujours aussi stimulante, mais nous ne savons pas encore de quoi nous parlerons. Bref, nous décidons de prendre cette résidence pour trouver ce qui pourrait être le contenu de notre contenant. Avant de se laisser, nous mettons sur papier deux petits rituels que nous expérimenterons le lendemain. Un pour sortir du monde ordinaire et entrer dans celui de la création et un second pour laisser la poussière créative retomber. Évidemment, le passage de la plume et le rythme du cœur au tambour nous reste et cela est au cœur de nos rituels créatifs.

Mercredi 6 septembre

C’est avec Julie Renault, (comédienne, autrice, marionnettiste et conteuse) que nous partagerons notre journée. Nous pratiquons nos rituels pour la première fois.

AVEC LA PLUME : Dire un mot qui nous définit aujourd’hui et laisse la langue se délier à parlant d’une histoire à quoi cela nous fait penser. Les souvenirs remontent et la gêne tombe.

BATTRE LE TEUEIKAN : Écouter son cœur et le partager avec les autres sur le tambour. Bien que Julie et Philibert soient des inconnus, ce petit moment amincit les frontières et crée un espace d’intimité.

Puis, nous décidons de simplement nous assoir autour du tambour comme si c’était notre feu. Philibert commence à parler de l’arbre auxquelles il se confiait dans sa jeunesse. L’histoire originale est riche en potentiel théâtral, et des étincelles pour ajouter du réalisme magique me viennent en tête. Je propose à Philibert de reraconter son histoire en ajoutant mon grain de sel. C’est le début d’un mécanisme que nous reprendrons tout au long de la résidence pour ajouter de la fiction et synthétiser les histoires de vie de Philibert. Nous décidons que ce ne sont plus les histoires de Philibert, mais de Shekak (la moufette) un alter ego inspiré de cet animal qui nous fait penser aux adolescents vu son besoin d’indépendance et l’importance de son apparence. C’est aussi le titre d’une chanson du groupe PETAPAN que nous écoutons à chaque conclusion de séance.

Julie en fine observatrice dénote les éléments clés de l’histoire et aussi la manière naturelle avec laquelle Philibert utilise la plume pour faire voir les images dans son histoire. Oui ! Il nous faudra une plume assurément comme accessoire d’évocation. Un travail d’exploration de ce que peut évoquer cette plume en la manipulant sera important pour nous. Elle se transforme en Poisson, Moufette, Chemin dans le bois, Oreille de loup, Cachette, etc.

Jeudi 7 septembre

Aujourd’hui nous allons travaillons avec Evan Launière (conteur et marionnettiste Innu). Nous partageons nos rituels créatifs avec lui. Philibert nous partage l’histoire du Corbeau qu’il avait adopté plus jeune, Philippe le Corbeau. Evan reprend l’histoire à sa manière. Cette version met plus d’emphase sur la relation entre le père et le fils. Le père n’est pas un ange, mais il semble se préoccuper du corbeau. La relation entre un adolescent et un père violent à travers un animal de compagnie nous semble intéressante. Pour ce qui est de la forme, Evan utilise le tambour pour faire du bruitage ou entre différent chapitre de l’histoire. Cela inspire Philibert.

Nous abordons aussi l’histoire Philibert et son ours qu’il a adopté. Cette histoire commence avec une glacière qui est malmenée par un ourson. La glacière, que Philibert a toujours, pourrait être l’assise de son personnage de conteur (shekak). Nous aimons que les quelques objets autour de Shekak puissent témoigner de la véracité des histoires auxquelles nous ajoutons du réalisme magique.

Philibert devient soudainement très ému et tombe en larme. Il dit que cela fait longtemps qu’il n’a pas parlé de son ours. Dans sa tradition chaque fois que l’on parle d’un animal, il nous écoute. Philibert dit que l’animal est heureux selon lui de devenir une recherche théâtrale.

Evan fait don de son cachet symbolique puisqu’il dit que sa paye était de partager ce moment avec nous.

Vendredi 8 septembre

Aujourd’hui Simon Landry-Désy (comédien et co-fondateur de Jouer Dehors) et Julie Renault pour une deuxième fois puisque la relation avec Julie est très bonne. Philibert a mentionné qu’il aimerait écrire le texte avec Julie. Le hasard de cette rencontre permet à Philibert de faire vibrer un rêve que ces histoires soient écrites.

Bien que nous avions l’idée de faire 3 histoires de Philibert, nous nous en tenons à celle du gars qui parlait en mal des animaux. Aujourd’hui nous avons testé que Julie en écoutant travaille à couvrir la plume de ficelle pendant que Philibert conte. La conclusion est que cela est pertinent pour la personne qui écoute d’être dans une action méditative et pas dérangeant pour Philibert. Nous garderons cette idée ! L’écoute n’est pas toujours visible, mais on la sent !

Cette histoire parle beaucoup de l’humilité, une valeur centrale chez les Innus. Il est crucial de ne pas se mettre au-dessus de la nature. Nous cherchons des idées pour que ce ne soit pas juste les animaux qui reflètent la nature. La rivière est peut-être une bonne piste pour cela.

Lors de la reprise de l’histoire par Simon, celui-ci prend vraiment un personnage de conteur et les procédés du conte. C’est optique n’est pas intéressante selon nous. Il y a quelque chose de figé et qui manque d’authenticité. La peur de faire un spectacle d’un « indien » qui fait des contes autour d’un feu me frappe. Comment changer la formule ou du moins ne pas répondre aux attentes des spectateurs ? Nous n’avons pas la réponse, mais l’idée de rester dans quelque chose de doux, d’authentique et de vulnérabilisant nous semble une bonne piste.

Note, Philibert est devenu champion d’arts martiaux pour se défendre de son père. La relation entre l’ado et un parent dangereux nous semble pertinente.

Question de fin de journée :
— Est-ce que Shekak le conteur est un humain ?

— Comment ne pas tomber dans le piège de la production et rester en mode recherche ?

Simon offre son cachet symbolique.

Samedi 9 septembre (hors Cube)

Soirée festive où nous discutons avec des auteurs de l’importance de laisser des répliques non traduites dans un texte. Réflexion sur le changement de rapport lorsque certains élèves sont de bons locuteurs de cette autre langue. Cela nous invite à penser que même dans des communautés qui ne parlent pas l’Innu nous maintiendrons une certaine section en Innu surtout les dialogues.

Lundi 11 septembre (hors Cube)

Tournage pour un film en développement qui serait tourné à Unamen Shipu (La Romaine) et qui servira de démo à Philibert. Nous abordons l’importance de faire des projets de création dans les villages Innu et même en territoire. Cela inspire de manière différente le processus. Notre prochaine étape devra être sur le territoire Innu pour suivre la logique de nos réflexions.

Mardi 12 septembre

Bougie d’allumage avec Gabriel sur la voix et le son. Wow ! Quelle belle et enrichissante rencontre !

Gabriel nous sensibilité à l’exploration sonore que nous pouvons faire avec les objets dans le spectacle (ex. : gratter la glacière, casser une branche, le feu). Il nous propose d’effectuer nos recherches avec un son de feu pour se laisser inspirer. Il propose de faire participer l’auditoire avec du bruitage par la bouche ou en percussion sur le corps qui moins intimidant.

Il invite à ne pas penser à la projection de voix, il faut juste penser à se faire comprendre. La langue Innu n’est pas forte et on invite plutôt que l’on impose le son.

Nous travaillons sur les différents noms des animaux en Innu, le nom est souvent proche du cri. Définir le nom en expliquant sa racine et le cri de l’animal est très intéressant.

L’exercice de raconter l’histoire juste en son permet de trouver des nouveaux son.

Bien que Gabriel et moi ne parlions pas Innu, Philibert nous raconte l’histoire de l’ours dans sa langue. Sa voix, sa posture et son approche sont très différentes d’en français c’est fascinant.

Je réalise que même sans speaker, on peut faire une conception sonore. On peut faire un dialogue juste avec des sons et des bruits. Cette utilisation de la voix et de qui est sous la main rappelle à Philibert les conteurs qu’il écoutait dans sa jeunesse.

Aujourd’hui j’ai appris plusieurs de mots en Innu et leur origine. C’est précieux !

Mercredi 13 septembre

Visite du Théâtre de Marionnette L’illusion. Discussion sur comment la matière raconte et comment avec la marionnette on peut inventer un univers complet.

Philibert est vraiment estomaqué de voir un si beau lieu et de voir un extrait de spectacle. C’est une rencontre riche et très valorisante pour Philibert. Comme artisan, il ramasse constamment des bouts de nature et de savoir que c’est un vocabulaire pour une discipline artistique le touche grandement.

Bilan de nos recherches, ce qui nous inspire et comment l’on entrevoit la prochaine étape.

Philibert et moi sommes très inspirés par nos recherches, mais il faudra trouver les fonds et le temps pour la suite. D’ici là, Philibert va fabriquer de nouveaux instruments et continuer de peaufiner ses histoires.

Jeudi 14 septembre

Bougie d’allumage avec Julie Drouin sur l’explicitation. Nous invitons Julie à partager le rituel de début de journée avec nous. Par contre, pour la période d’explicitation, Philibert est seul avec Julie. Philibert a décidé de parler de ces moments avec son ami l’ours.

À la suite de la séance, Philibert exprime comme il a aimé replonger dans ce moment de vie. Les sens sont des bons outils. Julie nous partage de la documentation puis c’est déjà la fin !

Nous écrivons un petit mot à l’équipe du Cube et du Clou, nous archivons nous enregistrement et fermons ce chapitre de notre livre de création. Nous espérons nous retrouver bien vite, puisque cette résidence à confirmer nos intuitions de départ on aime travailler ensemble sur un spectacle en Innu-Aimun.